Porcelaine Vieux-Nyon

1782: le miracle de l’or blanc / par Madeleine Schürch  (24h.)

La manufacture de porcelaine de Nyon dresse la table chez les notables

En décembre 1782, Leurs Excellences de Berne reçoivent en cadeau un magnifique vase de porcelaine, richement décoré, signé d’un petit poisson bleu. Ce présent témoigne du savoir-faire de Jacob Dortu et de son beau-père, Ferdinand Müller, qui viennent d’ouvrir à Nyon une manufacture de porcelaine.

Les deux hommes qui se lancent dans cette aventure – il n’existe alors en Suisse qu’une seule fabrique, fondée à Zurich vingt ans auparavant – espèrent un coup de main pour asseoir une industrie totalement nouvelle dans la région. Ils sollicitent un prêt de 15 000 à 20 000 livres à un taux d’intérêt bas.

Mais, hélas, ces artisans débarqués d’Allemagne reçoivent une fin de non-recevoir. Ils n’appartiennent pas à la bourgeoisie de Nyon et n’offrent pas les garanties suffisantes pour obtenir les largesses de l’occupant bernois. Les deux hommes, qui ont obtenu du Conseil de Nyon et du bailli local l’autorisation de s’établir à la rue de la Colombière, doivent donc se débrouiller avec les capitaux avancés par quelques notables du coin. Une affaire qui ne va pas de soi. Car, aujourd’hui encore, on se perd en conjectures sur les raisons qui ont poussé ces deux peintres porcelainiers à choisir ce «pays welsch» pour lancer leur manufacture. La région de Nyon ne recèle ni kaolin, ni feldspath, ni quartz, les trois matières premières nécessaires à la fabrication de l’or blanc.

La Pompadour dicte la mode
Inventée par les Chinois au XIe siècle, la porcelaine, arrivée sur nos tables avec le thé, le café et le chocolat, n’est produite en Europe qu’à partir du début du XVIIIe, d’abord à la manufacture de Meissen, puis à celle de Sèvres, en France, qui deviendra, sous l’influence de Mme de Pompadour, la manufacture royale qui dicte la mode.

A Nyon, bourgade d’à peine 1600 âmes, on ne peut compter ni sur le soutien d’un roi ni même sur une haute noblesse pour acheter ce qui reste un produit de luxe. Mais, dès le début, Jacob Dortu témoigne d’une étonnante maîtrise technique. Ses formes et ses décors, comme le «Marseille» ou les fameux bleuets et barbeaux, considérés comme les motifs classiques de la porcelaine de Nyon, sont certes empruntés à d’autres manufactures. Mais il affinera sans cesse la qualité de sa pâte et la variété des décors signés d’un petit poisson bleu, que l’on retrouve dans les armoiries de Nyon et dans celles de sa famille.

Après quelques années, pourtant, le porcelainier choisit de retourner à Berlin. Il a vendu sa part à Ferdinand Müller, qui décide, en 1787, de transférer l’atelier à Genève. Indignation des Nyonnais, qui en appellent à Leurs Excellences de Berne pour retenir l’impudent. Ce dernier sera tout simplement banni de la ville! Dortu revient aussitôt et occupe, avec ses nouveaux associés Moyse Bonnard et Henri Veret, de plus grands locaux à l’endroit connu aujourd’hui sous le nom de rue de la Porcelaine.

C’est le début d’une nouvelle ère, avec une progression spectaculaire de la production et des ventes. Vases pots-pourris, glacières, verrières enrichissent la palette plus courante des théières, cafetières, plats et trembleuses, ces tasses sur soucoupe souvent richement décorées, munies de deux anses pour vieillards grelottants. Le répertoire des ornements explose, avec quelques inventions purement nyonnaises.

Pour l’ancien conservateur du Musée Ariana Roland Blaettler, l’œuvre de Dortu, en majorité de style néoclassique, reste remarquable. «Le génie de Nyon n’est pas tapageur, mais il existe.» Il faut dire que les créateurs, comme les ouvriers, étaient de religion réformée, ce qui explique probablement une certaine retenue stylistique. Mais l’aventure nyonnaise n’aura duré que trente-deux ans. En 1813, la manufacture tombe en faillite. Lui succédera une fabrique de poterie fine qui perdurera jusqu’en 1979.

Source: Porcelaine de Nyon à Mariemont, édité par le Musée royal de Mariemont avec le Musée historique et des porcelaines de Nyon.

[Madeleine Schürch, 24h, 30 janvier 2012]

Liens

Histoire de la manufacture et le grand vase de Nyon

Wikipedia : la porcelaine de Nyon

Exposition permanente au Musée historique du Château de Nyon